lundi 26 septembre 2011

Pourquoi il faut lire “Le Trône de Fer"



La science fiction a eu Dune, la fantasy a le Trône de fer.

Si Dune est une œuvre majeure, un classique de la littérature, ASOIF (A Song Of Ice and Fire, le nom en anglais du Trône de Fer)  avant même que la saga ne soit achevée semble avoir acquis un statut similaire. Décliné en série télévisée, en jeu vidéo, en jeux de plateau et de rôles, ASOIF est un filon en or massif.
Qu’est-ce qui explique ce succès tant populaire que critique ? Le génie d’un écrivain ou la rencontre entre une œuvre et une époque particulière ? Ou les deux ? Ou quelque chose de totalement différent ?

GRR Martin : un titan dressé sur les épaules des géants.

On peut parier aujourd’hui -et sans risque de se tromper- que Martin aura un impact majeur sur la littérature de fantasy, un impact de mon point de vue au moins aussi important que Tolkien. Mais Martin est un Tolkien qui aurait sacrifié Aragorn au bout de 500 pages. Martin ne décrit pas – ou pas seulement - des héros, Martin décrit une époque dans un monde particulier.

Un monde magnifique mais cruel, un monde que les humains ont cru maîtriser et qui, de plus d’une manière, leur fait payer – avec une cruauté sans nom - leur erreur. Martin est un Tolkien qui renverse les tables et les rôles, les personnages les plus méprisables changent parfois et peuvent devenir – rarement – un peu meilleurs. Ironiquement les « bons » connaissent un destin encore plus cruel : il leur faut devenir ce qu’ils réprouvent et user de leur part d’ombre… ou mourir. Ceux qui s’y refusent meurent et quand ils meurent ils le font dans l’opprobre. N’est-ce pas Ned ?

Du sang et des larmes : il n’y a pas d’honneur.

ASOIF est en réalité un roman qui traite de la difficulté d’être un humain et d’assumer ses choix et responsabilités.
Martin est un naturaliste, un matérialiste, pas un moraliste. Il a prévenu : il n’y aura pas de happy end. Et pourtant, comment ne pas s’attacher à ses personnages, aussi sombres soient-ils ?
Les Lannister sont clairement les plus horribles des souverains. Mais sont-ils cruels ou simplement machiavéliques ? N’auraient-ils pas compris que dans ce monde l’homme est un loup pour l’homme (je relis ma phrase et je ris)? Et comment ne pas admirer l’énergie amorale d’un Jaime, la perfidie insondable d’une Cersei aussi belle que dangereuse, aussi infatuée d’elle même que profondément (auto ?) destructrice ?
Comment ne pas admirer l’intelligence cauteleuse et parfaitement monstrueuse d’un Tywin Lannister. Une intelligence monstrueuse selon deux acceptions : rares sont les esprits aussi retors que celui de Tywin Lannister et rares sont ceux qui sont aussi dépourvus d’humanité. Mais même Tywin est à plaindre d’une certaine manière. Il y a ici un déterminisme auquel aucun personnage n’échappe.
Pour Joffrey, bon, Martin le décrit lui-même comme une petite merde (oui, je cite)… et pourtant peut-être le verrez-vous autrement un jour, peut-être n’est-il d’une certaine manière qu’une victime lui-même. Après tout, qui a fait de lui ce qu’il est devenu ?
Tyrion l’un des personnages les plus ambiguës de la série est également un des plus intéressants, membre d’une famille qu’il aime et qu’il déteste, génie emprisonné dans le corps d’un nain son destin devient de plus en plus obscur à mesure que le récit avance. Quant à penser qu’il sera le dernier des Lannister, il y a un pas à ne pas franchir.

Les Stark sont quant à eux des parangons de vertu. Du moins est-ce ainsi que vous les verrez au début. Mais chacun d’eux porte une blessure, qui pourrait s’avérer mortelle : la confiance, l’honneur chevaleresque sont-ils synonymes de longue vie dans les intrigues de Westeros ?
Leur destin est noir, une tragédie totale, mais des lueurs d’espoir se font jour et les survivants joueront un rôle centrale sur l’échiquier de Cyvosse qu’est Westeros.

Martin joue avec un nombre conséquent de grandes maisons nobles mais toutes ont leur spécificité et leur caractère propre. Toutes ou presque sont des nids de vipères.

L’idéal chevaleresque en prend pour son grade les chevaliers sont dans leur majorité décrits comme des hommes dont l’honneur n’existe que dans les chansons et de fait, l’honneur on le revendique beaucoup, mais pour ce qu’il vaut…

Chez Martin point d’honneur mais une tentative d’interpellation : la plume est parfois plus forte que l’épée. Il ne s’agit pas que de savoir manier l’épée et de gagner des batailles. Il s’agit de savoir se ménager des alliés et de savoir les utiliser.

Vous comprendrez…

Low fantasy, vraiment ?

On décrit beaucoup ASOIF comme une épopée de low fantasy. C’est l’impression que l’on peut avoir durant le premier tome, mais n’oubliez pas le prologue du livre premier. Les Autres se sont éveillés

Les humains ont semble-t-il tout fait pour que le surnaturel disparaisse du paysage, ainsi en va-t-il de ce que les humains ne peuvent ou ne veulent pas comprendre.

Daenerys Targaryen, héritière d’une lignée de rois incestueux (et qui en portent les stigmates), descendante des Valyriens, qui ne sont pas sans évoquer l’Atlantide engloutie vous emmènera en orient et vous assisterez (secret de Polichinelle à l’heure où vous lisez ces lignes) à la naissance de ses dragons, les premiers à naître depuis au moins un siècle.

Les dragons sont vus à Westeros comme des créatures de légendes mais on sait qu’ils ont existé et qu’ils ont constitué pour les Targaryens un instrument de conquête d’une rare efficacité et puis ils sont morts… Comment, pourquoi ? Vous verrez, mais peut-être y a-t-il davantage ici qu’une extinction  « naturelle ».

L’ambigüité est également un personnage majeur chez Martin. Des mages à la D&D vous n’en verrez pas… Non, non, sauf peut-être en Orient. Sauf peut-être là où vous ne les attendez pas. Sauf que vous rencontrerez la femme rouge, vous rencontrerez Qaithe et les Non-Mourants. Vous entendrez parler de Maggie et d’une certaine Maegi et d’une certaine magie du sang. Quant aux enfants de la forêt, bien sûr qu’ils sont mort. Bien sûr. Mais si.

Quant à la mort évidemment, rien ne peut la contrarier. Jamais. Parlez-en à Beric Dondarrion, aux Marcheurs Blancs et à ceux que l’on appelle « les Autres », juchés qui sur un cheval non-mort, qui sur un ours blanc à demi pourrissant.

Oserez-vous ensuite  venir me dire qu’il s’agit de low fantasy?

Ce qui change tout, c’est l’intelligence avec laquelle Martin présente sa petite affaire : la magie est, certes, mais la magie est d’abord légendes, discrétion, récits à demi oubliés et ressurgissant de manière inopiné et terrifiante. On n’est pas chez Harry Potter ici, les dieux réclament des sacrifices : du sang et des âmes en quelque sorte. Toujours la magie –la sorcellerie- devrais-je dire, est liée à la peur, à la terreur et à la mort. Pas de boules de feu ici (encore que) mais un pouvoir à manier avec précaution, un pouvoir que même les initiés redoutent : une lame sans poignée.

Et puis il y a les skinchangers, traduit en « zomans », une traduction que je ne trouve pas formidable (pourquoi pas changeurs de peau ?). Ces « mutants » ont la capacité de se fondre dans les corps des animaux, loups, aigles, ours, lynx. Pour toutes sortes de bénéfices… Mais là encore ce n’est pas sans danger. Rien n’est sans danger dans le monde décrit par Martin. Et surtout pas ce qui apparaît de l’ordre du surnaturel.

Et les femmes dans tout ça ?

Le monde de Westeros (qui n’est en réalité que le contient le plus à l’ouest du monde connu) est un lieu de batailles et donc réservé aux guerriers me direz-vous. Pas tant que ça vous répondrais-je.

Vous y trouverez sorcières et guerrières, prêtresses et assassins, courtisanes, catins de bas étage et de haut parage, surtout vous trouverez des femmes fortes, qu’elles soient intelligentes, machiavéliques ou stupides. Parfois elles sont tout ça à la fois. Certaines sont pathétiques, certaines sont haïssables. En réalité elles ne valent pas mieux que les hommes. ou disons, à peine mieux… Car elles sont les premières victimes des guerres. Jeunes elles risquent le viol et la mort, plus âgées, elles risquent de voir leurs enfants massacrés. Elles sont confrontées à des monstres à visage humain (à peine) tels Clegane la Montagne ou Rorge et Mordeur.

Rien ne leur est épargné surtout pas le pire. Si vous aimez frémir, les pitres sanglants vont vous régaler…

Quel est ce monde ?

Le monde crée par GRR Martin évoque l’Europe médiévale pour ce qui concerne Westeros. Mais on sait qu’existent Sothoryos au sud et le gigantesque continent de l’est connu sous le nom d’Essos. Peu de personnages l’ont parcouru. Mais deux d’entre eux retiennent l’attention : Euron Greyjoy, un fer-né (sorte de viking sinistre) fasciné par le surnaturel et Mestre Marwyn un mestre (représentant de cette caste de conseillers / précepteurs des grandes maisons nobles : des érudits au profond savoir) qui n’a que mépris pour sa corporation. Des « moutons gris » dit-il sans doute à raison… et lorsque vous saurez pourquoi, une grande vérité éclatera.

Le monde est vaste, complexe et cruel mais fascinant. Un piège magnifique mais mortel.

Laissez vous séduire par la chanson de glace et de feu, mais soyez-en sûr, vous ne sortirez pas indemne d’une telle lecture.

N’est-ce pas après tout ce que l’on demande à la littérature ?

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