La science fiction a eu
Dune, la fantasy a le Trône de fer.
Si Dune est une œuvre
majeure, un classique de la littérature, ASOIF (A Song Of Ice and Fire, le nom
en anglais du Trône de Fer) avant même
que la saga ne soit achevée semble avoir acquis un statut similaire. Décliné en
série télévisée, en jeu vidéo, en jeux de plateau et de rôles, ASOIF est un
filon en or massif.
Qu’est-ce qui explique ce
succès tant populaire que critique ? Le génie d’un écrivain ou la rencontre
entre une œuvre et une époque particulière ? Ou les deux ? Ou quelque
chose de totalement différent ?
GRR Martin : un
titan dressé sur les épaules des géants.
On peut parier aujourd’hui
-et sans risque de se tromper- que Martin aura un impact majeur sur la
littérature de fantasy, un impact de mon point de vue au moins aussi important
que Tolkien. Mais Martin est un Tolkien qui aurait sacrifié Aragorn au bout de 500
pages. Martin ne décrit pas – ou pas seulement - des héros, Martin décrit une
époque dans un monde particulier.
Un monde
magnifique mais cruel, un monde que les humains ont cru maîtriser et qui, de
plus d’une manière, leur fait payer – avec une cruauté sans nom - leur erreur.
Martin est un Tolkien qui renverse les tables et les rôles, les personnages les
plus méprisables changent parfois et peuvent devenir – rarement – un peu meilleurs.
Ironiquement les « bons » connaissent un destin encore plus
cruel : il leur faut devenir ce qu’ils réprouvent et user de leur part
d’ombre… ou mourir. Ceux qui s’y refusent meurent et quand ils meurent ils le
font dans l’opprobre. N’est-ce pas Ned ?
Du sang et des
larmes : il n’y a pas d’honneur.
ASOIF est en réalité un
roman qui traite de la difficulté d’être un humain et d’assumer ses choix et
responsabilités.
Martin est un naturaliste,
un matérialiste, pas un moraliste. Il a prévenu : il n’y aura pas de happy
end. Et pourtant, comment ne pas s’attacher à ses personnages, aussi sombres
soient-ils ?
Les Lannister sont
clairement les plus horribles des souverains. Mais sont-ils cruels ou
simplement machiavéliques ? N’auraient-ils pas compris que dans ce monde
l’homme est un loup pour l’homme (je relis ma phrase et je ris)? Et
comment ne pas admirer l’énergie amorale d’un Jaime, la perfidie insondable d’une
Cersei aussi belle que dangereuse, aussi infatuée d’elle même que profondément (auto ?)
destructrice ?
Comment ne pas admirer
l’intelligence cauteleuse et parfaitement monstrueuse d’un Tywin Lannister. Une
intelligence monstrueuse selon deux acceptions : rares sont les esprits
aussi retors que celui de Tywin Lannister et rares sont ceux qui sont aussi
dépourvus d’humanité. Mais même Tywin est à plaindre d’une certaine manière. Il
y a ici un déterminisme auquel aucun personnage n’échappe.
Pour Joffrey, bon, Martin le
décrit lui-même comme une petite merde (oui, je cite)… et pourtant peut-être le
verrez-vous autrement un jour, peut-être n’est-il d’une certaine manière qu’une
victime lui-même. Après tout, qui a fait de lui ce qu’il est devenu ?
Tyrion l’un des
personnages les plus ambiguës de la série est également un des plus
intéressants, membre d’une famille qu’il aime et qu’il déteste, génie
emprisonné dans le corps d’un nain son destin devient de plus en plus obscur à
mesure que le récit avance. Quant à penser qu’il sera le dernier des Lannister,
il y a un pas à ne pas franchir.
Les Stark sont quant à eux
des parangons de vertu. Du moins est-ce ainsi que vous les verrez au début.
Mais chacun d’eux porte une blessure, qui pourrait s’avérer mortelle : la
confiance, l’honneur chevaleresque sont-ils synonymes de longue vie dans les
intrigues de Westeros ?
Leur destin est
noir, une tragédie totale, mais des lueurs d’espoir se font jour et les
survivants joueront un rôle centrale sur l’échiquier de Cyvosse qu’est
Westeros.
Martin joue avec
un nombre conséquent de grandes maisons nobles mais toutes ont leur spécificité
et leur caractère propre. Toutes ou presque sont des nids de vipères.
L’idéal chevaleresque en
prend pour son grade les chevaliers
sont dans leur majorité décrits comme des hommes dont l’honneur n’existe que
dans les chansons et de fait, l’honneur on le revendique beaucoup, mais pour ce
qu’il vaut…
Chez Martin point d’honneur
mais une tentative d’interpellation : la plume est parfois plus forte que
l’épée. Il ne s’agit pas que de savoir manier l’épée et de gagner des
batailles. Il s’agit de savoir se ménager des alliés et de savoir les utiliser.
Vous comprendrez…
Low fantasy,
vraiment ?
On décrit beaucoup ASOIF
comme une épopée de low fantasy. C’est l’impression que l’on peut avoir durant
le premier tome, mais n’oubliez pas le prologue du livre premier. Les Autres se
sont éveillés
Les humains ont semble-t-il
tout fait pour que le surnaturel disparaisse du paysage, ainsi en va-t-il de ce
que les humains ne peuvent ou ne veulent pas comprendre.
Daenerys Targaryen,
héritière d’une lignée de rois incestueux (et qui en portent les stigmates),
descendante des Valyriens, qui ne sont pas sans évoquer l’Atlantide engloutie
vous emmènera en orient et vous assisterez (secret de Polichinelle à l’heure où
vous lisez ces lignes) à la naissance de ses dragons, les premiers à naître
depuis au moins un siècle.
Les dragons sont vus à
Westeros comme des créatures de légendes mais on sait qu’ils ont existé et qu’ils
ont constitué pour les Targaryens un instrument de conquête d’une rare
efficacité et puis ils sont morts… Comment, pourquoi ? Vous verrez, mais
peut-être y a-t-il davantage ici qu’une extinction « naturelle ».
L’ambigüité est également un
personnage majeur chez Martin. Des mages à la D&D vous n’en verrez pas…
Non, non, sauf peut-être en Orient. Sauf peut-être là où vous ne les attendez
pas. Sauf que vous rencontrerez la femme rouge, vous rencontrerez Qaithe et les
Non-Mourants. Vous entendrez parler de Maggie et d’une certaine Maegi et d’une
certaine magie du sang. Quant aux enfants de la forêt, bien sûr qu’ils sont
mort. Bien sûr. Mais si.
Quant à la mort évidemment,
rien ne peut la contrarier. Jamais. Parlez-en à Beric Dondarrion, aux Marcheurs
Blancs et à ceux que l’on appelle « les Autres », juchés qui sur un
cheval non-mort, qui sur un ours blanc à demi pourrissant.
Oserez-vous ensuite
venir me dire qu’il s’agit de low fantasy?
Ce qui change tout, c’est
l’intelligence avec laquelle Martin présente sa petite affaire : la magie
est, certes, mais la magie est d’abord légendes, discrétion, récits à demi
oubliés et ressurgissant de manière inopiné et terrifiante. On n’est pas chez
Harry Potter ici, les dieux réclament des sacrifices : du sang et des âmes
en quelque sorte. Toujours la magie –la sorcellerie- devrais-je dire, est liée
à la peur, à la terreur et à la mort. Pas de boules de feu ici (encore que)
mais un pouvoir à manier avec précaution, un pouvoir que même les initiés
redoutent : une lame sans poignée.
Et puis il y a les
skinchangers, traduit en « zomans », une traduction que je ne trouve
pas formidable (pourquoi pas changeurs de peau ?). Ces
« mutants » ont la capacité de se fondre dans les corps des animaux,
loups, aigles, ours, lynx. Pour toutes sortes de bénéfices… Mais là encore ce
n’est pas sans danger. Rien n’est sans danger dans le monde décrit par Martin.
Et surtout pas ce qui apparaît de l’ordre du surnaturel.
Et les femmes dans tout
ça ?
Le monde de Westeros (qui
n’est en réalité que le contient le plus à l’ouest du monde connu) est un lieu
de batailles et donc réservé aux guerriers me direz-vous. Pas tant que ça vous
répondrais-je.
Vous y trouverez sorcières
et guerrières, prêtresses et assassins, courtisanes, catins de bas étage et de
haut parage, surtout vous trouverez des femmes fortes, qu’elles soient
intelligentes, machiavéliques ou stupides. Parfois elles sont tout ça à la
fois. Certaines sont pathétiques, certaines sont haïssables. En réalité elles
ne valent pas mieux que les hommes. ou disons, à peine mieux… Car elles sont
les premières victimes des guerres. Jeunes elles risquent le viol et la mort,
plus âgées, elles risquent de voir leurs enfants massacrés. Elles sont
confrontées à des monstres à visage humain (à peine) tels Clegane la Montagne
ou Rorge et Mordeur.
Rien ne leur est épargné
surtout pas le pire. Si vous aimez frémir, les pitres sanglants vont vous
régaler…
Quel est ce monde ?
Le monde crée par GRR Martin
évoque l’Europe médiévale pour ce qui concerne Westeros. Mais on sait
qu’existent Sothoryos au sud et le gigantesque continent de l’est connu sous le
nom d’Essos. Peu de personnages l’ont parcouru. Mais deux d’entre eux
retiennent l’attention : Euron Greyjoy, un fer-né (sorte de viking
sinistre) fasciné par le surnaturel et Mestre Marwyn un mestre (représentant de
cette caste de conseillers / précepteurs des grandes maisons nobles : des
érudits au profond savoir) qui n’a que mépris pour sa corporation. Des
« moutons gris » dit-il sans doute à raison… et lorsque vous saurez
pourquoi, une grande vérité éclatera.
Le monde est vaste, complexe
et cruel mais fascinant. Un piège magnifique mais mortel.
Laissez vous séduire par la
chanson de glace et de feu, mais soyez-en sûr, vous ne sortirez pas indemne d’une
telle lecture.
N’est-ce pas après tout ce
que l’on demande à la littérature ?